Comprendre l’Économie Sociale et Solidaire

C’est l’économie sociale qui apparaît en premier en France au XIXème siècle, par la naissance de mouvements associatifs, coopératifs et mutualistes, dans une époque marquée par des tensions continues entre l’État et la société civile.

Comprendre l’Économie Sociale et Solidaire

Émilie aborde ce mois-ci l’ESS depuis ses racines pour nous permettre de mieux comprendre ce secteur. Voici le troisième numéro de la chronique « Regards sur le travail » dont la thématique sera divisée en deux parties.

L’ESS en France : deux courants historiques distincts

L'économie sociale (XIX° siècle)

C’est l’économie sociale qui apparaît en premier en France au XIXème siècle, par la naissance de mouvements associatifs, coopératifs et mutualistes, dans une époque marquée par des tensions continues entre l’État et la société civile. Cette économie est initiée par des ouvriers, portés par un désir d’émancipation, qui se regroupent dans une logique de mutualisation de leurs intérêts. Malgré une répression importante, la dynamique enclenchée s’accélère dans la IIIème République, selon des inspirations très diverses (Saint Simon, Proudhon, Marx, l’Église Catholique, etc.) Ces initiatives de regroupements, qui ont pour but de servir l’intérêt des membres par une mise en commun du fruit de leur travail (citons des coopératives agricoles, des coopératives de consommateurs ou des associations ouvrières), sont protégées par un statut juridique, grâce aux lois de la fin du XIXème siècle sur la liberté d’association par exemple.

L’économie solidaire (seconde moitié du XX° siècle)

L’économie solidaire, quant à elle, s’inscrit dans une histoire bien plus contemporaine : celle de la deuxième moitié du XXème siècle. C’est ici la nature de l’activité de l’organisation qui a pour but de servir l’intérêt général (et non l’intérêt des membres d’un collectif restreint) grâce aux qualités des individus qui la composent. Les points de départ de l’économie sociale et de l’économie solidaire sont différents : « si ce sont essentiellement des acteurs coopératifs, mutualistes et associatifs qui fondent la conception contemporaine de l’économie sociale, ce sont les chercheurs qui ont conçu la théorie de l’économie solidaire » (Draperi, 2017). Autrement dit, l’économie solidaire ne part pas du groupement des personnes (et donc des statuts leur permettant cette liberté) mais de la nature de l’activité, ce qui explique qu’elle peut parfois bénéficier du soutien public pour la mener. C’est une différence majeure avec l’économie sociale qui revendique de servir ses seuls membres et attend surtout de l’État une reconnaissance juridique. Par ailleurs, cette émergence de l’économie solidaire en France s’inscrit dans un contexte socioéconomique particulier : la fin des années 1980 correspond à un questionnement sur un nouveau rapport entre l’Etat et les associations, qui se développent massivement, en concurrence parfois directe avec les entreprises. On se trouve alors dans une période de redéfinition du partage de la question sociale entre État et associations, mutuelles et coopératives qui deviennent d’une certaine manière « opérateurs » des politiques publiques.

Depuis les années 1980 : la « catégorie ESS » est promue au sein des institutions

L’Économie Sociale et Solidaire n’est pas un concept en tant que tel mais une catégorie politico-administrative qui a été créée spécifiquement pour promouvoir ce secteur économique. Elle est imaginée à partir des années 1970-1980 sous le nom de « tiers secteur » par les partisans de la deuxième gauche, des socialistes qui assument leur rupture avec le marxisme et qui souhaitent infléchir l’économie de marché (comme M. Rocard ou J. Delors).

L’année 2001 marque la publication du rapport d’Alain Lipietz intitulé « Pour le tiers secteur : l’économie sociale et solidaire », commandé par la Ministre du Travail de l’époque, Martine Aubry. Par la suite, « la catégorie d’ESS va devenir une thématique portée par la plupart des partis de gauche dans le cadre des élections régionales de 2004, confirmant son implantation territoriale et l’aspiration à incarner une « économie autrement ». Cette montée en puissance aboutira en 2012 à la nomination d’un ministre délégué à l’ESS » (Hély, 2020).

Des politiques publiques ont ainsi été mises en place pour développer ce secteur, ce qui a permis son institutionnalisation.  C’est aussi la raison pour laquelle l’ESS regroupe des organisations qui peuvent avoir différents statuts et différentes tailles, et qui gardent seulement quelques points en commun : une activité d’utilité sociale, et une non-distribution du bénéfice aux actionnaires. Les entreprises commerciales de l’ESS sont reconnues pour la première fois par la loi Hamon de 2014 qui en fixe les contours : en cherchant à consacrer la reconnaissance d’un secteur historique qui s’est toujours développé dans une tension entre l’État et le marché, la puissance publique a finalement inscrit dans le marbre ses interdépendances avec le secteur marchand.

L'entreprise sociale : « dernière-née » de l’ESS

Comme nous l’évoquions, on va trouver derrière ce même nom d’ESS une hétérogénéité de statuts, de taille, de pratiques, de traditions et de degré de politisation. Le secteur le plus récent au sein de cette nébuleuse, appelé entrepreneuriat social, consiste à créer une activité économique privée, viable, qui n’a pas pour raison principale la maximisation des profits mais la satisfaction de certains objectifs sociaux ou écologiques (définition de l’OCDE).

Né dans les années 1980 aux États-Unis, l’entreprenariat social s’est développé en France dans un contexte de critique de l’État-providence et d’importation de la culture entrepreneuriale américaine et de sa figure de l’individu exceptionnel (en l’occurrence, Bill Drayton, un ancien consultant du cabinet McKinsey qui fonde Ashoka en 1980).

A nouveau, la principale différence de l’entrepreneuriat social avec l’économie sociale et l’économie solidaire est le point de départ de son raisonnement, c’est-à-dire les qualités intrinsèques des individus. Autrement dit, « l’entrepreneuriat social ne réunit ni des entreprises, ni même des collectifs, mais des individus » (Draperi, 2011). Ce terme a été importé en France dans les années 2000 grâce aux relais d’écoles de commerce, de l’Association française de fundraising, et des grands cabinets comme BCG (Draperi, 2011).

Trois décennies plus tard, l’entrepreneuriat social est devenu un secteur en forte croissance qui s’est progressivement structuré et institutionnalisé. En suivant l’exemple britannique, la France voit apparaître des corps intermédiaires dédiés, comme le Mouvement des entrepreneurs sociaux créé en 2010 (désormais nommé IMPACT France) qui se donne pour but de fédérer et populariser l’idée d’entreprises sociales auprès d’acteurs économiques, de citoyens mais aussi des pouvoirs publics. Ce développement est également rendu possible par une reconnaissance institutionnelle, avec la création de statuts juridiques spécifiques comme la Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC, 2001) ou l’Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale (ESUS, 2014). La SCIC a pour objet la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif qui présentent un caractère d’utilité sociale ; et l’agrément ESUS permet aux entreprises de l’ESS de recevoir des aides et des financements, dont l’épargne salariale solidaire et les réductions fiscales.

L’ESS est un secteur en croissance, notamment grâce à la dynamique de l’entreprenariat social, il est donc forcément pourvoyeur d’emplois. Ce qui nous amène à la seconde partie de cette chronique : quelles sont les caractéristiques communes au fait de travailler au sein de l’ESS ?

RENDEZVOUS LE MOIS PROCHAIN.

Sources :

  • Draperi, Jean – François.  « Qu’est-ce que l’entrepreneuriat social ? », Draperi éd. L’économie sociale et solidaire : une réponse à la crise ? Capitalisme, territoires et démocratie. Dunod, 2011.
  • Draperi, Jean – François. Histoires d’économie sociale et solidaire. Éditions Les petits matins, 2017.
  • Hély, Matthieu. « Économie sociale et solidaire », Pasquier éd. Dictionnaire des politiques territoriales,  Presses de Sciences Po, 2020.